Interview de Jean-Claude Mornard, Avril 2009

Intriguée par votre profil qui précise votre animal préféré… pourquoi une lamproie ? Et qu’est-ce donc ?
Une lamproie, c’est une espèce d’affreuse bestiole. Un poisson avec une bouche qui ressemble à une ventouse et qui doit contenir environ sept milliards de dents. On a rarement vu d’animal plus moche et plus antipathique. Mais, allez savoir pourquoi, j’aime le mot. Il y a des mots qui n’ont strictement rien de drôle mais dont la sonorité me fait rire: lamproie, gnou, yak… (Souvent des noms d’animaux, d’ailleurs.) Je suppose qu’un psy pourrait écrire six bouquins et demi sur ce sujet. Mais ça risquerait de ne pas faire un gros succès de librairie.

Que feriez-vous avec les Marx Brother à Casablanca ?
Je suivrai le mouvement. Et comme il est probable que, selon leur habitude, ils foutraient le souk, je foutrais le souk aussi. Et, dans la foulée, j’essayerai de faucher le klaxon de Harpo pour le revendre à un collectionneur fou qui ferait ma fortune.

Plus sérieusement, pourquoi Sherlock vous suit-il à la semelle comme ça ? Qui mène, entre vous deux, votre jeu de piste ?
Sherlock Holmes, c’est une vieille histoire, une fascination qui remonte à l’enfance et qui a été en s’empirant. Le plus drôle, c’est que je ne sais pas expliquer exactement ce qui me fascine…pour certains c’est l’aspect purement policier, pour d’autres c’est le côté scientifique (méthodes d’investigation etc.). Pour moi, je crois que c’est un tout: une atmosphère, une écriture, des personnages hors normes, une époque et un décor particulièrement propices au mystère. Un côté « so british ». Du coup, quand, beaucoup plus tard, je me suis mis à fréquenter les milieux holmésiens, j’ai commencé à écrire des pastiches et des parodies (et à dessiner des gags). C’est là que je me suis vraiment rendu compte qu’il existait un potentiel humoristique énorme au niveau des relations Holmes-Watson. Il existe des milliers de parodies, bien sûr mais…ben, j’avoue que je les trouve rarement drôles. Soit, c’est très référentiel, très « private joke » (il faut connaître les aventures de Holmes par cœur pour les apprécier), soit, on retombe toujours sur les mêmes clichés (Watson et Holmes qui couchent ensemble etc.) Attention, je ne permettrais pas dire que c’est mauvais. Juste que ça ne me fait pas souvent rire. Alors, j’ai décidé d’écrire les histoires que j’aurais voulu lire. Mi pastiches, mi parodies. Quant à savoir qui mène le jeu de piste… on est deux. Il est clair que, quand on s’attaque à Sherlock Holmes, il y a une certaine codification des personnages qu’il faut respecter un minimum. Là, c’est l’immense Conan Doyle qui mène le jeu. Et puis, une fois les codes établis mis en place, il faut les égratigner, voire les dynamiter. Et là, bien sûr, c’est moi qui mène le jeu. En essayant que ça soit drôle pour tout le monde et pas seulement pour les spécialistes. Je crois qu’à partir du moment où l’on sait (et tout le monde le sait) que Holmes est détective et qu’il vit avec Watson, on en sait assez pour (peut-être) apprécier mes bêtises holmésiennes. En gros, j’essaye que mes histoires ressemblent très vaguement à ce que Conan Doyle aurait pu écrire (il y a une « vraie » intrigue… dans deux cas sur trois en tout cas) s’il avait vachement abusé du whisky la veille et que Jerôme K. Jerôme avait corrigé sa copie à sa façon. C’est du Conan Doyle souffrant de gueule de bois, quoi.

Avec vous, j’ai le sentiment qu’on pleure plutôt de rire… une façon de vivre ?
En tout cas, j’essaye de ne pas prendre les choses sérieuses trop au sérieux. On peut dire des choses sérieuses sans se prendre au sérieux. Dire un truc intelligent au beau milieu d’une pyjama party d’anciens prix Nobel, c’est cool. Dire un truc intelligent avec humour au beau milieu d’une pyjama party d’anciens prix Nobel, c’est mieux ! Ceci dit, juste pour le fun, dire un truc con au milieu d’une pyjama party d’anciens prix Nobel, ça ne doit pas être mal non plus. Mais, dans l’ensemble, je ne suis pas vraiment le rigolo de service: aux enterrements, en général, on croit que je suis l’employé des pompes funèbres. Dans les mariages, j’ai l’air tellement sinistre qu’on pense que je suis le marié. Pendant les communions, c’est moi le mec qui essaye d’étrangler l’oncle débiteur de blagues. En fait, je crois que je ne suis pas très sociable. J’envisage les choses avec humour sans être un gros déconneur pouêt-pouêt. Pour ceux qui ont lu mes petites histoires, il y a beaucoup de moi dans le personnage de Marc Saratov. Que dis-je ? Marc Saratov, c’est moi. Et Madame Bovary, c’est Flaubert. Et Zorro, c’est don Diego mais il ne faut pas que ça se sache. Chuuut !

Comment vous diffusez-vous ? Avec tant d’œuvres à votre actif, trouvez-vous facilement votre public ?
Euh… je place des liens, des bannières, par-ci, par-là. Je commande mes propres zœuvres afin de les distribuer à mes potes en leur donnant un bisou sur le front. Mais, il ne faut pas oublier que je n’ai « tant d’œuvres à mon actif » que depuis trois mois. Apparemment, les gens qui lisent mes histoires aiment plutôt ça. Je n’en demande pas plus pour le moment. Bon là-dessus, je ne me plaindrais pas si Saratov devenait une sorte de Bridget Jones au masculin, faisait un tabac, me permettait d’acheter une ile dans le Pacifique (non, plutôt au large de la Norvège vu que je ne supporte pas la chaleur), d’abandonner mon boulot de prof (que j’adore…mais, après vingt ans, on a un peu l’impression de tourner en rond dans une pièce carrée) et toutes ces sortes de choses. Mais, disons que pour le moment, je me contente du plaisir d’écrire. Et du plaisir pris quand on me parle de mes histoires. Même si c’est en comité assez restreint. La bouche à bouche…oups ! Le bouche à oreille finira bien par atterrir dans la bonne bouche…oups! La bonne oreille ! Et si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave. Rien n’est grave, sauf la voix d’Orson Welles. Ce qui me plait, c’est juste de faire ce qui me plait quand ça me plait. Pas de rêve de gloire. Mais, comme je le disais, si mes scribouillages pouvaient me permettre d’envoyer paître certains trucs qui commencent à me peser, je n’aurais rien contre.

Vous aussi, mêlez l’art de la peinture et l’art de la littérature… lequel choisiriez-vous ?
Sans l’ombre d’une hésitation, la peinture. J’adore écrire mais la peinture c’est ma vie depuis près de trente ans (et avant ça, je dessinais déjà… je suis tombé dedans quand j’étais petit, comme Obélix dans la potion magique). C’est un truc qui m’est aussi nécessaire que l’air que je respire. J’écris quand ça me prend mais je ne peux pas rester sans peindre ou dessiner. C’est un besoin physique. Je ne peux pas voir une surface blanche sans barbouiller quelque chose dessus (d’ailleurs je m’habille en noir pour éviter de peindre sur mon t shirt dans un moment d’exaltation!) En fait, si j’écris c’est simplement pour raconter des histoires que la peinture ne me permet pas de raconter. Il y a des choses qui ne peuvent être exprimée qu’avec les mots…la couleur ou le trait sont impuissants à les traduire. Et la réciproque est vrai: il y a des émotions, des sensations, qui ne peuvent pas être exprimées avec des mots mais bien avec la couleur ou le trait. Avant tout, j’ai toujours été un homme d’images. D’ailleurs, même quand j’écris, je crois que le style est très imagé. Bien sûr, il y aurait moyen de concilier les deux… avec la BD, par exemple (surtout à l’heure actuelle, où les approches de la BD sont beaucoup plus variées, moins codifiées, et que certaines planches sont littéralement peintes). Mais, bon…une BD c’est très contraignant: on se met à sa table et on se dit: « Pendant les six prochains mois, voire pendant l’année à venir, je ne vais faire QUE ça. » Et là, j’ai du mal. Les projets de longue haleine c’est pas trop mon truc. Je ne suis à l’aise que dans l’urgence: je commence, je finis. D’une traite. Quitte à ne pas dormir, ne pas regarder Derrick et ne pas bouffer pendant deux ou trois jours. En écriture comme en peinture.

Desproges : « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. »… Qu’en est-il dans notre société actuelle, selon vous ?
On peut toujours rire de tout. A condition d’être enfermé dans les toilettes, seul chez soi, en ayant condamné les portes et bien vérifié qu’il n’y a pas de micros planqués dans les pots de fleurs ou derrières les oreilles des chats. Non, sans rire… je crois qu’on est dans une époque très politiquement correcte. Les humoristes sont de plus en plus gentillets, dès qu’ils lâchent un pet de travers, c’est le procès assuré. Un Desproges ou un Coluche, aujourd’hui, il serait lapidé (là dessus, dans le cas de Coluche, beaucoup de ceux qui crient au génie aujourd’hui sont probablement les mêmes qui s’offusquaient de sa « vulgarité » quand il était en vie.) Aujourd’hui, c’est un peu « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » (et, rien à voir avec le film féroce de Jean Yanne !) Bien sûr, il reste des dinosaures qui gardent le cap et tapent là où ça fait mal (l’humour, c’est aussi un moyen de dénoncer ce qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre) mais ils deviennent de plus en plus rare face à l’invasion de petits lapins roses. Là dessus, il y a des petits lapins roses qui me font marrer malgré tout, je ne crache pas dans la soupe. Mais les grands méchants loups, ça devient une denrée rare.

Finalement… « Quelle heure est-il au bord de votre vie ? »
L’heure d’avoir quitté le bord depuis un bail. Là, j’ai de l’eau jusqu’à la taille. Et c’est très bien comme ça. J’ai la chance d’avoir réalisé pas mal des choses que je voulais faire quand j’étais gamin et, l’un dans l’autre, d’avoir toujours plus ou moins fait ce qui me plaisait. L’enseignement artistique m’a permis de mener ma carrière de peintre comme je le voulais… n’étant pas tributaire de la peinture, grâce à mon salaire, pour acheter du cassoulet, j’ai toujours pu faire mes choix en toute liberté, peindre selon mes envies, sans tomber dans le commercial pour pouvoir vivre. Et puis, grâce à des rencontres dans le milieu artistiques (où il y a plein de lamproies mais aussi des chics types), j’ai prêté ma voix à des personnages de dessins animés (autre rêve d’enfance.) Dans un autre genre, j’ai été cowboy dans un ranch pour touristes et je suis devenu un illustrateur connu des amateurs de Sherlock Holmes. Bref, là où beaucoup de gens courent après leurs rêves toute leur vie, j’ai pu en rattraper quelques uns. C’est plutôt cool. Et si j’ajoute que je suis parfaitement heureux avec mon épouse Daniela (peintre également) et mes cinq chats, que demande le peuple ?