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Interview de Philippe Parrot, auteur de Vénus a deux visages, février 2009

Votre ouvrage Vénus a deux visages porte en son cœur les aléas de l’amour, avec toute sa complexité : vos expériences vécues ont-elles guidé cette écriture ?

Le dilemme auquel Nino est confronté correspond certes à une époque de ma vie, mais j’espère avoir réussi à ce que personne ne s’en aperçoive à la lecture du roman. Si l’aventure amoureuse de Nino touche, je voudrais que ce soit parce qu’elle exprime des sentiments dans lesquels les lecteurs se reconnaissent, non parce qu’elle dévoile mes émotions personnelles. Mon objectif est simple. Je veux noyer dans l’épaisseur des personnages et les péripéties d’une histoire ce qui me trahit. A travers l’écriture, je veux transformer un ressenti personnel en une nouvelle émotion qui touche à quelque chose d’universel.Confirmer que mes expériences sentimentales ont contribué à l’écriture de « Vénus a deux visages » m’amène à conclure par une pirouette: « Suis-je parvenu à me faire suffisamment oublier pour que l’aventure de Nino traduise avec justesse les « aléas de l’amour » tels que la plupart des hommes et des femmes les vivent ? Si le livre rencontre au fil des mois des lecteurs toujours plus nombreux, je pourrai peut-être répondre « oui » à cette interrogation.

Vous traitez des sujets rarement associés les uns avec les autres : cirque, enquête, double jeu de l’amour… est-ce pour vous démarquer ?

La construction de « Vénus a deux visages » s’est faite au fil des mois sans qu’il n’y ait jamais de ma part la volonté de me démarquer. Les thèmes qui constituent la trame de l’histoire ont trouvé leur place au cours d’un cheminement qui s’est imposé naturellement. En fait, ce roman est d’abord le fruit de ma rencontre avec un portrait posé derrière la devanture d’un salon de coiffure ! Saisi par la beauté du visage, j’ai réalisé que cette femme était inaccessible parce qu’il y avait, entre elle et moi, la vitrine qui nous séparait. Le personnage de Nelly venait de s’imposer et je n’avais plus qu’à laisser mon imagination vagabonder… Si Nino résout les « aléas de l’amour » en voyageant au-delà du miroir, existe-t-il dans la réalité un lieu ouvert sur le merveilleux où pourrait se produire ce phénomène ? Le cirque ! Si les « aléas de la vie » obligent parfois à emprunter des chemins tortueux, y a-t-il quelqu’un qui pousserait Nino à se révéler à lui-même ? Un détective contrôle bien la vie des autres ! Et voilà Boris Zakowski qui surgit.Lorsque les décors et les personnages furent ainsi plantés, écrire a consisté à me laisser porter par eux. Sans l’avoir vraiment voulu, de nouveaux personnages comme de nouvelles situations se sont imposés qui ne résultaient pas de ma volonté d’aller dans telle direction mais de l’histoire elle-même qui se développait à son rythme. Ce n’était pas moi qui conduisais le récit mais les personnages eux-mêmes qui m’obligeaient à me plier aux vicissitudes de leur existence. Ce n’était pas moi qui faisais surgir les différentes problématiques mais les personnages eux-mêmes prisonniers de leur propre histoire.Si le roman se démarque par la combinaison des thèmes abordés, c’est parce que Boris, Nino, Hannah, Nelly et tous les autres m’ont obligé à aller là où ils se devaient d’aller et non là où je les aurais volontiers emmenés. Au final, en les servant avec constance, ce sont eux qui ont réussi à se démarquer au fil de leurs aventures et de leurs choix.

Comme le découvrira le lecteur, l’intrigue de votre livre Vénus a deux visages contient plus d’un rebondissement : d’où vous vient cette connaissance du monde des jurés, des enquêtes et des procès ?

Bien que cela puisse paraître surprenant, ma connaissance des jurés, des enquêtes et des procès est très superficielle. Je n’ai jamais fréquenté les Palais de Justice, les commissariats ou les prisons. Ce sont les romans que j’ai pu lire ou les films que j’ai pu voir qui m’ont permis de me forger une idée de ce monde particulier. Tous ces détails – dont je ne me suis jamais soucié de savoir s’ils étaient vrais ou non – ne sont là que pour créer une atmosphère. En somme, il s’agit d’éléments glanés au hasard et façonnés à ma façon, uniquement pour mettre en évidence la personnalité de mes héros.  

Pour vous, l’autoédition est-elle un choix volontaire de sortir des chemins battus de l’édition traditionnelle ?

Lorsqu’un écrivain a donné corps à ses différents personnages, mettre un terme à son roman est une étape importante. Le bonheur d’avoir « donné la vie » laisse pourtant sur sa faim. La présence des lecteurs manque pour parachever cette naissance. Les rencontrer est néanmoins une entreprise difficile. Les maisons d’édition traditionnelles qui inscrivent leur ligne éditoriale dans une logique commerciale cherchent à maximiser les profits en minimisant les risques. Or, d’un point de vue financier, le plus grand risque est bien d’éditer un inconnu ! Au nom de la rentabilité, le jeune auteur essuie donc souvent un refus.Reste l’auto-édition. En s’engageant dans cette voie, le romancier sait qu’il ne pourra bénéficier de la logistique des maisons d’édition classiques et qu’il devra endosser tous les rôles. Ce travail qui le transforme en un commercial empiète parfois sur l’écriture. En fait, l’auto-édition témoigne plus de l’opiniâtreté de l’auteur dans son combat pour faire reconnaître son livre que d’une volonté délibérée de sortir des chemins battus. Car, inconsciemment ou non, le rêve de beaucoup d’auteurs est de parcourir la voie royale de l’édition classique.Mais l’avènement d’internet est en train de bouleverser cet équilibre et ces rapports de force. Désormais l’auteur auto-publié sur la toile, au même titre qu’une diffusion dans les librairies, peut espérer, d’une seul coup de clic, bénéficier d’une audience nationale. Et, là où je suis actuellement, sur « Thebookedition.com », je me sens parfaitement à ma place et heureux de participer à cette évolution.

Qu’espérez-vous de l’avenir ?

Je répondrai par une boutade. A priori j’espère beaucoup de l’avenir bien qu’a fortiori je n’en attende strictement rien ! Passé et avenir sont des mots, rien de plus. Si le premier permet de donner une épaisseur à nos vies, en nous aidant à répondre à la question: « Qui suis-je ? », le second permet de leur donner une direction, en nous aidant à répondre à la question: « Que vais-je faire ? ». Ces notions, en donnant du sens à nos existences, masquent pourtant que la seule réalité, c’est l’instant. Et cet instant, nous l’assumons d’autant mieux que nous l’embellissons avec nos souvenirs et que nous le confortons avec nos projets. Moi le premier…J’ai ainsi plusieurs objectifs. Je veux que Vénus a deux visages rencontre son public; je veux terminer la rédaction de mon second roman et faire bien d’autres choses encore. Toutefois, je sais que ces projets personnels, familiaux ou professionnels, même s’ils sont déterminants, sont de fragiles constructions. Ils existent à condition que mon présent demeure. Voilà pourquoi je n’attends rien de l’avenir. Ce « demain » auquel je me fie est une illusion qui voudrait me faire oublier qu’à tout moment la vie peut m’échapper. Je veux donc privilégier le présent. Même s’il est porté par les images que ma mémoire a préservées, même s’il témoigne d’un sens que mon esprit lui a donné, je sais que lui seul existe. Je vis avec lui, en suspens et en sursis, nourri des faux-semblants du passé et des espoirs trompeurs de l’avenir. C’est pourtant une force d’être ainsi ! Prendre conscience de la fragilité de nos existences, c’est ressentir à quel point l’instant présent est un miracle, à quel point c’est une chance d’être là, ici et maintenant.

Vous êtes l’homonyme d’un peintre d’un XIXème siècle : l’art par la peinture est-il semblable, selon vous, à l’art littéraire ? Quelles sont les réelles différences, ainsi que les points communs entre ces deux styles d’expression artistique ?

L’activité artistique permet, à mes yeux, de sublimer deux sentiments. Le premier, c’est l’impression d’être en permanence étranger au monde qui est le sien, comme s’il y avait en soi une blessure qui empêche d’occuper sa place d’homme. Le second, c’est le malaise qui en résulte et qui pousse à espérer autre chose que la vie ne peut offrir. A travers l’art, l’artiste ne cherche pas à échapper à son destin, en se réfugiant dans le labyrinthe de son imagination, mais au contraire à l’accomplir pleinement. Par sa démarche, il cherche à se réconcilier avec le monde pour être en accord avec lui-même et avec les autres. Qu’il s’agisse d’écrire ou de peindre, l’artiste cherche à rebâtir le monde selon un ordre harmonieux et à redonner du sens à un univers qui semble en être dépourvu. En fait, il tente de reconstruire un autre monde à travers le langage universel de l’émotion qui permet une lisibilité immédiate des choses et des êtres. Il y a enfin un désir plus sourd. L’artiste cherche à assouvir son besoin de reconnaissance et d’amour, en s’immisçant dans les esprits et dans les cœurs. Mais, s’il souhaite délivrer sa propre vision du monde, ce n’est pas pour l’imposer mais pour la faire partager dans la communion. Si l’écriture et la peinture expriment ces espoirs et ces enjeux, elles se distinguent sur deux points. L’oeil du peintre saisit les êtres et les choses dans l’espace, en les figeant dans un instant précis, saisi sur la toile. La main de l’écrivain décrit les êtres et les choses dans le temps, en les déployant dans une durée indéterminée, couchée sur le papier. Le peintre immortalise l’espace à travers un angle de vue, l’auteur immortalise le temps à travers un vécu. La peinture est cependant un art plus universel. Comme la musique, elle fait appel à nos sens qui sont des modes de connaissance intuitifs, partagés par tous les hommes. A l’inverse, l’universalité de l’écriture est relative puisqu’elle est tributaire de la langue du romancier, même si la traduction contribue à surmonter ce handicap.

Face à un tel épilogue, on ne peut qu’espérer retrouver votre prose au plus vite… Envisagez-vous de nouvelles publications en 2009 ? Si oui, quels thèmes vous tiennent à cœur ?

Je ne suis pas un auteur qui n’aurait qu’à s’asseoir à son bureau pour que l’inspiration vienne. Mon imagination s’active par périodes, attendant que mes personnages surgissent du néant. Mon rapport aux mots est laborieux et ingrat. Je ne vis pas l’écriture comme une vocation mais comme un travail. Écrire une phrase, assembler des paragraphes, construire des chapitres représentent un exercice de longue haleine, un labeur rendu d’autant plus difficile que je suis perfectionniste. J’aime chercher le mot juste, m’attacher aux décors, travailler mes personnages, bref, ciseler mon texte pour que le lecteur puisse, comme dans un film bien scénarisé, visualiser l’histoire. C’est dire que je ne terminerai pas, en 2009, mon second roman dont la trame générale est pourtant construite. Il me faudra patienter jusqu’en 2010 pour l’achever.Intitulé Âmes errantes et vies perdues, ce second roman rompra avec les thèmes abordés dans Vénus a deux visages. Axé sur l’époque contemporaine, plus précisément sur le génocide cambodgien opéré par les khmers rouges dans les années 1975/1979, il ne s’agira pas de décrypter l’ambiguïté du sentiment amoureux ou d’accorder une place importante au rêve mais de démonter les mécanismes qui permettent, au nom d’un avenir meilleur, de légitimer la violence et d’exterminer un peuple. Dès qu’il s’agit, au nom d’un idéal politique, de gravir un échelon sur l’échelle de la souffrance et de l’humiliation, l’imagination dans la cruauté s’avère sans limites et la déraison dans la monstruosité sans retenue. Ce second roman sera particulièrement sombre puisqu’à travers mes deux personnages principaux, le lecteur découvrira la logique destructrice des régimes totalitaires et la noirceur de l’âme humaine.